Cette semaine, le très joli poème que l'on vous propose a été écrit par une élève du lycée, Nesrine Djadel. Il s'agit d'un blason, c'est-à-dire un poème qui célèbre une partie du corps. Le voici :
Le poème du mercredi
Vous êtes ici : Accueil » Le poème du mercrediVoici un poème d’un écrivain kabyle, Arezki BOULAOUCHE. Ce texte évoque la recherche de la « belle » liberté à laquelle tout individu aspire, à l’image du peuple kabyle depuis des centenaires…
Le texte est livré dans sa version française.
Même si la gelée tombe
Même si la gelée tombe
Le froid atteindra les os
J’accepte de dormir dans la rue
Pourvu qu’elle me sourie
Car c’est un vrai trésor
Le chemin vers elle qu’il soit montant
Serpenté ou descendant
Je suis prêt à l’affronter
Je pense qu’elle va m’accepter
Qu’elle ne fuira pas en me voyant
J’accepte les grêlons et la neige
Que la rivière déborde, je m’en fiche
Car sa passion dompte ma cervelle
Unique elle n’a pas d’égal
Je me rendrai chez elle
Oh ! Fleur de basilic
Qui ne se vend sur les marchés
Depuis toujours, tu brûles mon cœur
Je te cherche, et toi donc ?
Serre-moi fort dans tes bras
Où es-tu liberté ?
Constamment loin de moi
Mon œil brûle d’envie de t’admirer
Réponds donc à mon appel
Fais-moi une place près de toi
Où es-tu liberté ?
Oh ! Clair de lune
Et pure tel un miroir
Ouvre la porte de l’espoir
Que nos visages puissent se voir
D’après l’œuvre d’Arezki BOULAOUCHE,
« Poèmes berbères (kabyles), mon petit éditeur, 2015 »
Autre roman de l’écrivain : « l’enchanteur enchanté, éditions complicités, 2019 »
Voici un poème choisi par Michel Roselmack, responsable de la maintenance au lycée. Il s'agit d'un texte de Sonny Rupaire, considéré comme un des premiers auteurs à écrire en créole guadeloupéen, qui évoque le travail des ouvriers et paysans antillais rythmé par les sons du tambour.
- Ou vwè noutout fèt é grandi.
- Tu nous a tous vus naître et grandir.
- Nou fè ‘w viv èvè lokans a dwèt an nou,
- Nous t'avons fait vivre avec l'éloquence de nos doigts,
- an kadans a doulè an nou,
- au rythme de nos douleurs,
- a lenbé an nou.
- de nos chagrins.
- Nou fè ‘w ri a pèd souf
- Nous t'avons fait rire à en perdre le souffle
- Lè sa té ka rivé nou ri.
- Lorsqu'il nous arrivait de rire.
- É byendéfwa, douvanjou,
- Et bien des fois, au lever du jour,
- lè lé répondè té kagou
- lorsque les répondeurs étaient à plat
- nou pran sonmèy an kontribann,
- nous avons pris sommeil en douce,
- tèt an nou apiyé si zépòl a ‘w.
- notre tête appuyée sur ton épaule.
- Tanbou,
- Tambour,
- ou sé on pyès-fanm,
- tu es une forte femme,
- doubout dwèt kon bitasyon san bityé ;
- debout droite comme un champ non défriché ;
- mouchwè anpizé, maré san on pli
- mouchoir empesé, amarré sans un pli
- lantou tèt a ‘w,
- autour de ta tête,
- ren sanglé pou ‘w pé sa woulé,
- les reins sanglés pour que tu puisses travailler,
- pou ‘w wouklé, pou ‘w boula ;
- pour que tu beugles, pour que tu martelles ;
- Ha ! Tanboudibrèz !
- Ah ! Tambour de braise !
- ou sé on fanm-bitasyon :
- tu es une paysanne :
- ou pa ni kolyé ;
- tu n'as pas de collier ;
- ou pa ni zanno,
- tu n'as pas de boucles d'oreilles,
- mé lè ou bay lavwa,
- mais lorsque tu donnes de la voix,
- sé onsèl voumtak, onsèl voukoum,
- c'est un seul tumulte, un seul vacarme,
- moun ka santi yo adan on nich a taktak.
- les gens se sentent dans un nid de fourmis noires.
- An tan maléré pò té kò obliyé
- Dans le temps où les miséreux n'avaient pas encore oublié
- onlo sé mèt a déotwa.
- (que) beaucoup est maître de quelques uns.
- A lè yo té ka kwè toujou
- A l'époque (où) ils croyaient encore
- pli ni dwèt ka woulé
- (que) plus il y a de doigts qui roulent (sur la peau du tambour)
- pli travay ka vansé,
- plus le travail progresse,
- - Tanbou pa di sa ! -
- - Le tambour n'as pas dit ça ! -
- konvwa-la té réglé an kadans a ‘w.
- le travail collectif était réglé sur ton rythme.
- Wop !
- Hop !
- Tout hou lévé ansanm
- Toutes les houes se sont lever ensemble
- kon kòk-genm an pit.
- comme des coqs de combat dans l'arène.
- Henkenchyen !
- Han !
- Léhou fésé ansanm
- Les houes se sont affesser ensemble
- adan mové zèb kon zépon.
- dans les mauvaises herbes comme des éperons.
- Tout sab té ka twazé ‘w menm lè.
- Tous les sabres te fixaient du même air.
- Wap si wap !
- Coup sur coup !
- On kouzyé, é sé té zéklè an kò a bwa.
- Un regard, et c'était la foudre dans le corps de la forêt.
- Adan syèl-la,
- Dans le ciel,
- Pwòp kon kokozyé a inosan,
- Propre comme le blanc des yeux de l'innocent,
- Sòlèy-la kon chadwon
- Le soleil tel un oursin
- Té ka fouré pikan a ‘y
- enfonçait ses épines
- An po a tout travayè ansanm.
- dans la peau de tous les travailleurs unis (dans l'effort).
- Tanbou difé !
- Tambour de feu !
- ou té ka bat
- tu battais,
- san pèd fil a ‘w,
- sans perdre ton fil,
- san jen pèd lakat.
- sans jamais perdre la main.
- Tout kè té ka kongné ansanm !
- Tous les coeurs cognaient ensemble !
- Lévwa té ka kriyé menm lè
- Les voix criaient le même air
- an tan maléré té ni lèspri a maléré !
- dans le temps où les miséreux avaient des âmes de miséreux !
- A lè yonn adan nou té chapé mizè,
- Au moment (où) l'un d'entre nous avait échappé à la misère,
- a lè i té kaskòd apré on dègné jou siren,
- au moment où il s'était enfui après un dernier jour de serin (rosée du soir),
- lavéyé té ka anonsé
- La veillée s'annonçait
- pou lézanmi vini di on dègné bonjou,
- pour que les amis viennent dire un dernier bonjour,
- dègné adyé a yo an kaz a mò-la.
- leurs derniers adieux dans la maison du mort.
- Ha, tanbou a maléré !
- Ah ! tambour des miséreux !
- ou té ka la ka bat
- tu étais là à battre
- bat é bat kon kè a jenn bougrès gyòk
- battre et battre comme le coeur d'une jeune fille pleine de vie
- an kaz a mò-la.
- dans la maison du mort.
- É ponmoun pa té ka fè ‘w pé !
- Et personne ne te faisait taire !
- Ponmoun pa té pé fè ‘w pé la !
- Personne ne pouvait te faire silence !
- Tanbou,
- Tambour,
- sé ‘w té ka di
- c'est toi qui disais
- sa noutout té ka kwè adan kè an nou
- ce que nous croyions tous dans nos coeurs
- asi lavi,
- sur la vie,
- asi lanmò a maléré.
- sur la mort des miséreux.
- Ou té ka di nou :
- Tu nous disais :
- « Lavi an nou sé fè,
- « Notre vie n'est qu'épreuve,
- mizè, maladi, dévenn ;
- misère, maladie, déveine ;
- é lanmò ka rivé pou nou
- et la mort arrive pour nous
- kon soulajman
- comme un soulagement
- apré soufwans,
- après la souffrance,
- kon lanbéli
- comme l'éclaircie
- apré movétan. »
- après le mauvais temps. »
- É nou té ka chanté,
- Et nous chantions,
- nou té ka dansé.
- nous dansions.
- Ou té ka la ka bat
- Tu étais là à battre
- bat é bat an kaz a mò-la
- battre et battre dans la maison du mort
- pou yonn di nou ki té chapé mizè,
- pour l'un de nous qui avait échappé à la misère,
- yonn adan nou ki té kaskòd
- l'un d'entre nous qui s'était enfui
- apré on dègné jou siren.
- après un dernier jour de serin.
- Jòdijou ou pé sèk ;
- Aujourd'hui tu t'es tu sec ;
- Po a ‘w ka grigné kon ta on vyékò las.
- Ta peau se flétrit comme celle d'un vieillard fatigué.
- Ou fwèt adan ti kwen a ‘w.
- Tu as froid dans ton petit coin.
- Ou ka chonjé an tan ou té mèt-a-mangnòk
- Tu te souviens du temps où tu étais le maitre du manioc (le leader)
- an tan ou té an tout sòs.
- du temps où tu étais dans toutes les sauces.
- Tanbou !
- Tambour !
- Délè yo ka vini soukwé ‘w an bobi a ‘w
- Des fois ils viennent te secouer dans ton assoupissement
- pou tanté fè ‘w dépalé,
- pour tenter de te faire divaguer,
- pou fè ‘w di
- pour te faire dire
- péyi an nou ka viv adan lopilans san soufwans.
- que notre pays vit dans une opulence sans souffrance.
- Mé ou ka fèmé kè a ‘w.
- Mais tu fermes ton coeur.
- Davwa yo vlé fè ‘w fè makak ba moun-dèwò
- Car ils veulent te faire jouer le singe pour des gens de l'extérieur
- ki byen foutépamal si maléré ka mò pa lafen.
- qui se fichent bien si des miséreux meurent de faim.
- Ou sav jou a ‘w pa lwen ;
- Tu sais que ton jour n'est pas loin ;
- ou ka filé lang a ‘w pou lapèldéchanpyon,
- tu effiles ta langue pour l'appel des champions,
- ou ka paré tout mo a ‘w pou chouboulé kè a moun,
- tu prépares tous tes mots pour chambouler le coeurs des gens,
- pou fè zyé an nou plen dlo,
- pour faire que nos yeux se remplissent d'eau,
- pou nou anrajé,
- pour que nous enragions,
- pou nou lévé tout ansanm,
- pour que nous nous levions tous ensemble,
- maré ren an nou séré
- amarrions nos reins serrés
- é désidé nou a rantré o konba !
- et nous décidions à rentrer au combat !
- Anbenn, ou ka véyé lè a ‘w :
- En douce, tu surveilles ton heure :
- lè moun péyi an nou dépi Lansbètran jis Vyéfò,
- l'heure où les gens de notre pays depuis l'Anse-Bertrand jusqu'à Vieux-Fort,
- dépi Marigalant jis Dézirad,
- depuis Marie-Galante jusque la Désirade,
- ké wouparèt nèf, pòtré a on timoun ki sòti fèt,
- réapparaîtront neufs, tel (portrait d') un enfant qui vient de naître
- ki sòti an vant a lalit.
- qui est sorti du ventre de la lutte.
- Ha, tanboudibrèz !
- Ah !, tambour de braise !
- Tanbou Gwadloup !
- Tambour de la Guadeloupe !
- Fout ou jenn lè lidé-lasa vini an lèspri a ‘w !
- Foutre que tu es jeune quand cette idée te vient à l'esprit !
- Sonny Rupaire
1970
Cette igname brisée qu'est ma terre natale
Editions Caribéennes, 1982
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
Paul Verlaine
Romances sans paroles (1874)