Le poème du mercredi N°4

Cette semaine, le très joli poème que l'on vous propose a été écrit par une élève du lycée, Nesrine Djadel. Il s'agit d'un blason, c'est-à-dire un poème qui célèbre une partie du corps. Le voici :

Tes yeux
 
Quand je vois tes yeux, c'est comme si je nageais dans l'océan
Quand je vois tes yeux, je me perds dans l'océan de l'amour
Ces yeux qui brillent, ces yeux qui prennent l'esprit de tous ceux qui ont vu des yeux si beaux, si émouvants, si innocents
Et en même temps sauvages
Dans le port de tes yeux bleus, je cours comme un enfant sur le rocher pour respirer l'odeur de la mer et revenir comme un oiseau fatigué
Je parle avec la nuit dans mon cahier fermé
De pierres contenant des milliers de poèmes sur tes yeux
Si j'étais un marin, si quelqu'un me donnait un bateau
Je monterais dans mes châteaux tous les soirs
Qui a vu tes yeux aimer la vie
Si le désir navigue dans tes yeux, mon coeur y coulera
Si les mots du monde ont pris fin
La beauté de tes yeux ne se termine pas.

Le poème du mercredi N°3

Voici un poème d’un écrivain kabyle, Arezki BOULAOUCHE. Ce texte évoque la recherche de la « belle » liberté à laquelle tout individu aspire, à l’image du peuple kabyle depuis des centenaires…

Le texte est livré dans sa version française.

 

Même si la gelée tombe

 

Même si la gelée tombe

Le froid atteindra les os

J’accepte de dormir dans la rue

Pourvu qu’elle me sourie

Car c’est un vrai trésor

 

Le chemin vers elle qu’il soit montant

Serpenté ou descendant

Je suis prêt à l’affronter

Je pense qu’elle va m’accepter

Qu’elle ne fuira pas en me voyant

 

J’accepte les grêlons et la neige

Que la rivière déborde, je m’en fiche

Car sa passion dompte ma cervelle

Unique elle n’a pas d’égal

Je me rendrai chez elle

 

Oh ! Fleur de basilic

Qui ne se vend sur les marchés

Depuis toujours, tu brûles mon cœur

Je te cherche, et toi donc ?

Serre-moi fort dans tes bras

 

Où es-tu liberté ?

Constamment loin de moi

Mon œil brûle d’envie de t’admirer

Réponds donc à mon appel

Fais-moi une place près de toi

 

Où es-tu liberté ?

Oh ! Clair de lune

Et pure tel un miroir

Ouvre la porte de l’espoir

Que nos visages puissent se voir

 

D’après l’œuvre d’Arezki BOULAOUCHE,

« Poèmes berbères (kabyles), mon petit éditeur, 2015 »

Autre roman de l’écrivain : « l’enchanteur enchanté, éditions complicités, 2019 »

Le poème du mercredi N°2

Voici un poème choisi par Michel Roselmack, responsable de la maintenance au lycée. Il s'agit d'un texte de Sonny Rupaire, considéré comme un des premiers auteurs à écrire en créole guadeloupéen, qui évoque le travail des ouvriers et paysans antillais rythmé par les sons du tambour.

Nous vous livrons le poème en versions originale et française.
 
Ou vwè noutout fèt é grandi.
Tu nous a tous vus naître et grandir.
Nou fè ‘w viv èvè lokans a dwèt an nou,
Nous t'avons fait vivre avec l'éloquence de nos doigts,
an kadans a doulè an nou,
au rythme de nos douleurs,
a lenbé an nou.
de nos chagrins.
Nou fè ‘w ri a pèd souf
Nous t'avons fait rire à en perdre le souffle
Lè sa té ka rivé nou ri.
Lorsqu'il nous arrivait de rire.
É byendéfwa, douvanjou,
Et bien des fois, au lever du jour,
lè lé répondè té kagou
lorsque les répondeurs étaient à plat
nou pran sonmèy an kontribann,
nous avons pris sommeil en douce,
tèt an nou apiyé si zépòl a ‘w.
notre tête appuyée sur ton épaule.

Tanbou,
Tambour,
ou sé on pyès-fanm,
tu es une forte femme,
doubout dwèt kon bitasyon san bityé ;
debout droite comme un champ non défriché ;
mouchwè anpizé, maré san on pli
mouchoir empesé, amarré sans un pli
lantou tèt a ‘w,
autour de ta tête,
ren sanglé pou ‘w pé sa woulé,
les reins sanglés pour que tu puisses travailler,
pou ‘w wouklé, pou ‘w boula ;
pour que tu beugles, pour que tu martelles ;
Ha ! Tanboudibrèz !
Ah ! Tambour de braise !
ou sé on fanm-bitasyon :
tu es une paysanne :
ou pa ni kolyé ;
tu n'as pas de collier ;
ou pa ni zanno,
tu n'as pas de boucles d'oreilles,
mé lè ou bay lavwa,
mais lorsque tu donnes de la voix,
sé onsèl voumtak, onsèl voukoum,
c'est un seul tumulte, un seul vacarme,
moun ka santi yo adan on nich a taktak.
les gens se sentent dans un nid de fourmis noires.
 
An tan maléré pò té kò obliyé
Dans le temps où les miséreux n'avaient pas encore oublié
onlo sé mèt a déotwa.
(que) beaucoup est maître de quelques uns.
A lè yo té ka kwè toujou
A l'époque (où) ils croyaient encore
pli ni dwèt ka woulé
(que) plus il y a de doigts qui roulent (sur la peau du tambour)
pli travay ka vansé,
plus le travail progresse,
- Tanbou pa di sa ! -
- Le tambour n'as pas dit ça ! -
konvwa-la té réglé an kadans a ‘w.
le travail collectif était réglé sur ton rythme.
Wop !
Hop !
Tout hou lévé ansanm
Toutes les houes se sont lever ensemble
kon kòk-genm an pit.
comme des coqs de combat dans l'arène.
Henkenchyen !
Han !
Léhou fésé ansanm
Les houes se sont affesser ensemble
adan mové zèb kon zépon.
dans les mauvaises herbes comme des éperons.
Tout sab té ka twazé ‘w menm lè.
Tous les sabres te fixaient du même air.
Wap si wap !
Coup sur coup !
On kouzyé, é sé té zéklè an kò a bwa.
Un regard, et c'était la foudre dans le corps de la forêt.
Adan syèl-la,
Dans le ciel,
Pwòp kon kokozyé a inosan,
Propre comme le blanc des yeux de l'innocent,
Sòlèy-la kon chadwon
Le soleil tel un oursin
Té ka fouré pikan a ‘y
enfonçait ses épines
An po a tout travayè ansanm.
dans la peau de tous les travailleurs unis (dans l'effort).
Tanbou difé !
Tambour de feu !
ou té ka bat
tu battais,
san pèd fil a ‘w,
sans perdre ton fil,
san jen pèd lakat.
sans jamais perdre la main.
Tout kè té ka kongné ansanm !
Tous les coeurs cognaient ensemble !
Lévwa té ka kriyé menm lè
Les voix criaient le même air
an tan maléré té ni lèspri a maléré !
dans le temps où les miséreux avaient des âmes de miséreux !
 
A lè yonn adan nou té chapé mizè,
Au moment (où) l'un d'entre nous avait échappé à la misère,
a lè i té kaskòd apré on dègné jou siren,
au moment où il s'était enfui après un dernier jour de serin (rosée du soir),
lavéyé té ka anonsé
La veillée s'annonçait
pou lézanmi vini di on dègné bonjou,
pour que les amis viennent dire un dernier bonjour,
dègné adyé a yo an kaz a mò-la.
leurs derniers adieux dans la maison du mort.
Ha, tanbou a maléré !
Ah ! tambour des miséreux !
ou té ka la ka bat
tu étais là à battre
bat é bat kon kè a jenn bougrès gyòk
battre et battre comme le coeur d'une jeune fille pleine de vie
an kaz a mò-la.
dans la maison du mort.
É ponmoun pa té ka fè ‘w pé !
Et personne ne te faisait taire !
Ponmoun pa té pé fè ‘w pé la !
Personne ne pouvait te faire silence !
Tanbou,
Tambour,
sé ‘w té ka di
c'est toi qui disais
sa noutout té ka kwè adan kè an nou
ce que nous croyions tous dans nos coeurs
asi lavi,
sur la vie,
asi lanmò a maléré.
sur la mort des miséreux.
Ou té ka di nou :
Tu nous disais :
« Lavi an nou sé fè,
« Notre vie n'est qu'épreuve,
mizè, maladi, dévenn ;
misère, maladie, déveine ;
é lanmò ka rivé pou nou
et la mort arrive pour nous
kon soulajman
comme un soulagement
apré soufwans,
après la souffrance,
kon lanbéli
comme l'éclaircie
apré movétan. »
après le mauvais temps. »
É nou té ka chanté,
Et nous chantions,
nou té ka dansé.
nous dansions.
Ou té ka la ka bat
Tu étais là à battre
bat é bat an kaz a mò-la
battre et battre dans la maison du mort
pou yonn di nou ki té chapé mizè,
pour l'un de nous qui avait échappé à la misère,
yonn adan nou ki té kaskòd
l'un d'entre nous qui s'était enfui
apré on dègné jou siren.
après un dernier jour de serin.
 
Jòdijou ou pé sèk ;
Aujourd'hui tu t'es tu sec ;
Po a ‘w ka grigné kon ta on vyékò las.
Ta peau se flétrit comme celle d'un vieillard fatigué.
Ou fwèt adan ti kwen a ‘w.
Tu as froid dans ton petit coin.
Ou ka chonjé an tan ou té mèt-a-mangnòk
Tu te souviens du temps où tu étais le maitre du manioc (le leader)
an tan ou té an tout sòs.
du temps où tu étais dans toutes les sauces.
Tanbou !
Tambour !
Délè yo ka vini soukwé ‘w an bobi a ‘w
Des fois ils viennent te secouer dans ton assoupissement
pou tanté fè ‘w dépalé,
pour tenter de te faire divaguer,
pou fè ‘w di
pour te faire dire
péyi an nou ka viv adan lopilans san soufwans.
que notre pays vit dans une opulence sans souffrance.
Mé ou ka fèmé kè a ‘w.
Mais tu fermes ton coeur.
Davwa yo vlé fè ‘w fè makak ba moun-dèwò
Car ils veulent te faire jouer le singe pour des gens de l'extérieur
ki byen foutépamal si maléré ka mò pa lafen.
qui se fichent bien si des miséreux meurent de faim.
 
Ou sav jou a ‘w pa lwen ;
Tu sais que ton jour n'est pas loin ;
ou ka filé lang a ‘w pou lapèldéchanpyon,
tu effiles ta langue pour l'appel des champions,
ou ka paré tout mo a ‘w pou chouboulé kè a moun,
tu prépares tous tes mots pour chambouler le coeurs des gens,
pou fè zyé an nou plen dlo,
pour faire que nos yeux se remplissent d'eau,
pou nou anrajé,
pour que nous enragions,
pou nou lévé tout ansanm,
pour que nous nous levions tous ensemble,
maré ren an nou séré
amarrions nos reins serrés
é désidé nou a rantré o konba !
et nous décidions à rentrer au combat !
Anbenn, ou ka véyé lè a ‘w :
En douce, tu surveilles ton heure :
lè moun péyi an nou dépi Lansbètran jis Vyéfò,
l'heure où les gens de notre pays depuis l'Anse-Bertrand jusqu'à Vieux-Fort,
dépi Marigalant jis Dézirad,
depuis Marie-Galante jusque la Désirade,
ké wouparèt nèf, pòtré a on timoun ki sòti fèt,
réapparaîtront neufs, tel (portrait d') un enfant qui vient de naître
ki sòti an vant a lalit.
qui est sorti du ventre de la lutte.
Ha, tanboudibrèz !
Ah !, tambour de braise !
Tanbou Gwadloup !
Tambour de la Guadeloupe !
Fout ou jenn lè lidé-lasa vini an lèspri a ‘w !
Foutre que tu es jeune quand cette idée te vient à l'esprit !
 
 
Sonny Rupaire
1970
Cette igname brisée qu'est ma terre natale
Editions Caribéennes, 1982
 

Le poème du mercredi N°1

Ce premier poème a été choisi par Marie DANET, professeure de philosophie au lycée. Il répond au premier poème publié par le collège Picasso de Montfermeil que vous pouvez lire ici : http://www.clgpicasso.fr/category/le-poeme-du-dimanche/
En ce mercredi tout gris, voici donc un poème de Paul Verlaine sur la pluie qui tombe sur la ville, mélancolique, à l'image de son cœur triste :

Il Pleure dans mon cœur
 

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !

Paul Verlaine
Romances sans paroles (1874)

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