Voici un poème choisi par Michel Roselmack, responsable de la maintenance au lycée. Il s'agit d'un texte de Sonny Rupaire, considéré comme un des premiers auteurs à écrire en créole guadeloupéen, qui évoque le travail des ouvriers et paysans antillais rythmé par les sons du tambour.
Nous vous livrons le poème en versions originale et française.
- Ou vwè noutout fèt é grandi.
- Tu nous a tous vus naître et grandir.
- Nou fè ‘w viv èvè lokans a dwèt an nou,
- Nous t'avons fait vivre avec l'éloquence de nos doigts,
- an kadans a doulè an nou,
- au rythme de nos douleurs,
- a lenbé an nou.
- de nos chagrins.
- Nou fè ‘w ri a pèd souf
- Nous t'avons fait rire à en perdre le souffle
- Lè sa té ka rivé nou ri.
- Lorsqu'il nous arrivait de rire.
- É byendéfwa, douvanjou,
- Et bien des fois, au lever du jour,
- lè lé répondè té kagou
- lorsque les répondeurs étaient à plat
- nou pran sonmèy an kontribann,
- nous avons pris sommeil en douce,
- tèt an nou apiyé si zépòl a ‘w.
- notre tête appuyée sur ton épaule.
- Tanbou,
- Tambour,
- ou sé on pyès-fanm,
- tu es une forte femme,
- doubout dwèt kon bitasyon san bityé ;
- debout droite comme un champ non défriché ;
- mouchwè anpizé, maré san on pli
- mouchoir empesé, amarré sans un pli
- lantou tèt a ‘w,
- autour de ta tête,
- ren sanglé pou ‘w pé sa woulé,
- les reins sanglés pour que tu puisses travailler,
- pou ‘w wouklé, pou ‘w boula ;
- pour que tu beugles, pour que tu martelles ;
- Ha ! Tanboudibrèz !
- Ah ! Tambour de braise !
- ou sé on fanm-bitasyon :
- tu es une paysanne :
- ou pa ni kolyé ;
- tu n'as pas de collier ;
- ou pa ni zanno,
- tu n'as pas de boucles d'oreilles,
- mé lè ou bay lavwa,
- mais lorsque tu donnes de la voix,
- sé onsèl voumtak, onsèl voukoum,
- c'est un seul tumulte, un seul vacarme,
- moun ka santi yo adan on nich a taktak.
- les gens se sentent dans un nid de fourmis noires.
- An tan maléré pò té kò obliyé
- Dans le temps où les miséreux n'avaient pas encore oublié
- onlo sé mèt a déotwa.
- (que) beaucoup est maître de quelques uns.
- A lè yo té ka kwè toujou
- A l'époque (où) ils croyaient encore
- pli ni dwèt ka woulé
- (que) plus il y a de doigts qui roulent (sur la peau du tambour)
- pli travay ka vansé,
- plus le travail progresse,
- - Tanbou pa di sa ! -
- - Le tambour n'as pas dit ça ! -
- konvwa-la té réglé an kadans a ‘w.
- le travail collectif était réglé sur ton rythme.
- Wop !
- Hop !
- Tout hou lévé ansanm
- Toutes les houes se sont lever ensemble
- kon kòk-genm an pit.
- comme des coqs de combat dans l'arène.
- Henkenchyen !
- Han !
- Léhou fésé ansanm
- Les houes se sont affesser ensemble
- adan mové zèb kon zépon.
- dans les mauvaises herbes comme des éperons.
- Tout sab té ka twazé ‘w menm lè.
- Tous les sabres te fixaient du même air.
- Wap si wap !
- Coup sur coup !
- On kouzyé, é sé té zéklè an kò a bwa.
- Un regard, et c'était la foudre dans le corps de la forêt.
- Adan syèl-la,
- Dans le ciel,
- Pwòp kon kokozyé a inosan,
- Propre comme le blanc des yeux de l'innocent,
- Sòlèy-la kon chadwon
- Le soleil tel un oursin
- Té ka fouré pikan a ‘y
- enfonçait ses épines
- An po a tout travayè ansanm.
- dans la peau de tous les travailleurs unis (dans l'effort).
- Tanbou difé !
- Tambour de feu !
- ou té ka bat
- tu battais,
- san pèd fil a ‘w,
- sans perdre ton fil,
- san jen pèd lakat.
- sans jamais perdre la main.
- Tout kè té ka kongné ansanm !
- Tous les coeurs cognaient ensemble !
- Lévwa té ka kriyé menm lè
- Les voix criaient le même air
- an tan maléré té ni lèspri a maléré !
- dans le temps où les miséreux avaient des âmes de miséreux !
- A lè yonn adan nou té chapé mizè,
- Au moment (où) l'un d'entre nous avait échappé à la misère,
- a lè i té kaskòd apré on dègné jou siren,
- au moment où il s'était enfui après un dernier jour de serin (rosée du soir),
- lavéyé té ka anonsé
- La veillée s'annonçait
- pou lézanmi vini di on dègné bonjou,
- pour que les amis viennent dire un dernier bonjour,
- dègné adyé a yo an kaz a mò-la.
- leurs derniers adieux dans la maison du mort.
- Ha, tanbou a maléré !
- Ah ! tambour des miséreux !
- ou té ka la ka bat
- tu étais là à battre
- bat é bat kon kè a jenn bougrès gyòk
- battre et battre comme le coeur d'une jeune fille pleine de vie
- an kaz a mò-la.
- dans la maison du mort.
- É ponmoun pa té ka fè ‘w pé !
- Et personne ne te faisait taire !
- Ponmoun pa té pé fè ‘w pé la !
- Personne ne pouvait te faire silence !
- Tanbou,
- Tambour,
- sé ‘w té ka di
- c'est toi qui disais
- sa noutout té ka kwè adan kè an nou
- ce que nous croyions tous dans nos coeurs
- asi lavi,
- sur la vie,
- asi lanmò a maléré.
- sur la mort des miséreux.
- Ou té ka di nou :
- Tu nous disais :
- « Lavi an nou sé fè,
- « Notre vie n'est qu'épreuve,
- mizè, maladi, dévenn ;
- misère, maladie, déveine ;
- é lanmò ka rivé pou nou
- et la mort arrive pour nous
- kon soulajman
- comme un soulagement
- apré soufwans,
- après la souffrance,
- kon lanbéli
- comme l'éclaircie
- apré movétan. »
- après le mauvais temps. »
- É nou té ka chanté,
- Et nous chantions,
- nou té ka dansé.
- nous dansions.
- Ou té ka la ka bat
- Tu étais là à battre
- bat é bat an kaz a mò-la
- battre et battre dans la maison du mort
- pou yonn di nou ki té chapé mizè,
- pour l'un de nous qui avait échappé à la misère,
- yonn adan nou ki té kaskòd
- l'un d'entre nous qui s'était enfui
- apré on dègné jou siren.
- après un dernier jour de serin.
- Jòdijou ou pé sèk ;
- Aujourd'hui tu t'es tu sec ;
- Po a ‘w ka grigné kon ta on vyékò las.
- Ta peau se flétrit comme celle d'un vieillard fatigué.
- Ou fwèt adan ti kwen a ‘w.
- Tu as froid dans ton petit coin.
- Ou ka chonjé an tan ou té mèt-a-mangnòk
- Tu te souviens du temps où tu étais le maitre du manioc (le leader)
- an tan ou té an tout sòs.
- du temps où tu étais dans toutes les sauces.
- Tanbou !
- Tambour !
- Délè yo ka vini soukwé ‘w an bobi a ‘w
- Des fois ils viennent te secouer dans ton assoupissement
- pou tanté fè ‘w dépalé,
- pour tenter de te faire divaguer,
- pou fè ‘w di
- pour te faire dire
- péyi an nou ka viv adan lopilans san soufwans.
- que notre pays vit dans une opulence sans souffrance.
- Mé ou ka fèmé kè a ‘w.
- Mais tu fermes ton coeur.
- Davwa yo vlé fè ‘w fè makak ba moun-dèwò
- Car ils veulent te faire jouer le singe pour des gens de l'extérieur
- ki byen foutépamal si maléré ka mò pa lafen.
- qui se fichent bien si des miséreux meurent de faim.
- Ou sav jou a ‘w pa lwen ;
- Tu sais que ton jour n'est pas loin ;
- ou ka filé lang a ‘w pou lapèldéchanpyon,
- tu effiles ta langue pour l'appel des champions,
- ou ka paré tout mo a ‘w pou chouboulé kè a moun,
- tu prépares tous tes mots pour chambouler le coeurs des gens,
- pou fè zyé an nou plen dlo,
- pour faire que nos yeux se remplissent d'eau,
- pou nou anrajé,
- pour que nous enragions,
- pou nou lévé tout ansanm,
- pour que nous nous levions tous ensemble,
- maré ren an nou séré
- amarrions nos reins serrés
- é désidé nou a rantré o konba !
- et nous décidions à rentrer au combat !
- Anbenn, ou ka véyé lè a ‘w :
- En douce, tu surveilles ton heure :
- lè moun péyi an nou dépi Lansbètran jis Vyéfò,
- l'heure où les gens de notre pays depuis l'Anse-Bertrand jusqu'à Vieux-Fort,
- dépi Marigalant jis Dézirad,
- depuis Marie-Galante jusque la Désirade,
- ké wouparèt nèf, pòtré a on timoun ki sòti fèt,
- réapparaîtront neufs, tel (portrait d') un enfant qui vient de naître
- ki sòti an vant a lalit.
- qui est sorti du ventre de la lutte.
- Ha, tanboudibrèz !
- Ah !, tambour de braise !
- Tanbou Gwadloup !
- Tambour de la Guadeloupe !
- Fout ou jenn lè lidé-lasa vini an lèspri a ‘w !
- Foutre que tu es jeune quand cette idée te vient à l'esprit !
- Sonny Rupaire
1970
Cette igname brisée qu'est ma terre natale
Editions Caribéennes, 1982